Il court, il court. Il court le joli, il court le mignon, il court le galant. Rapide, si rapide qu’il décollera peut être si le vide vient à la rencontre de ses pieds. Les oiseaux ne courent pas, ils volettent, planent, volent tout au mieux, mais ne courent pas. Celui-ci n’est pas un oiseau, contrairement à ce qu’il voudrait faire croire. Il ne trompe personne. Il se joue de vos yeux sans difficulté, mais pas de votre âme. Voyez avec votre âme, et alors vous saurez. Il ne vous trompera plus. Vous serez protégé. Il s’angoisse, il se ronge les sangs. Engoncé dans son costume trois pièces noir, il rase les murs, vite, trop vite, si vite que, c’est sûr cette fois, lorsque le vide viendra le happer, il prendra son envol.
Aujourd’hui, il a prit un soin tout particulier à changer de masque. Il est rasé –et de frais-, ses cheveux on prit une agréable couleur brune foncée, la marque italienne, et pas l’ombre d’un postiche en vue. Le parfait gentleman, dans toute sa splendeur. De son air faussement assuré et confiant à sa démarche –encore et toujours- aérienne et svelte. Un rien discernable sous le costume impeccable, la douce forme d’une arme de service qui –si on lui demande- passera pour une tabatière en argent. Au fond de la poche droite de sa veste, chiffonnées et trempées par la pluie, trois lettres. Mignonnes lettres. Autrefois blanches et immaculées, à présent grisâtres et imbibées d’eau. Si imbibées que les caractères habilement collés sur la surface deviennent presque illisible. Caractères fautifs, encore une fois.
Le rythme cardiaque du drôle d’oiseau s’accélère. Prochain nom ? Prochaine maison ? Il veut en avoir le cœur net. Par trois fois déjà l’étrange corbeau s’est joué de lui, l’a mené où il le souhaitait, le laissant sans plus de preuves et pétris d’incertitudes. Il serait plus simple d’abandonner pour Calabria, seul sans brigade, seul fasse au monde, seul fasse à la vérité, mais l’affaire est bien trop importantes pour se permettre de lésiner sur les moyens. Il faut arrêter le coupable –et au plus vite-, sinon, qui sait ? Il pourrait bien perdre sa place… et sa tête avec.
Il en est arrivé - au moyen de multiples stratagèmes très certainement appris au cours de ses longues années d’études – à la conclusion que, la prochaine personne sur la liste serait sans doute le lieu de dépôt d’une nouvelle lettre, qui, a son tour désignerait une nouvelle personne et prit dans un cercle des plus vicieux se refermerait lentement sur la totalité des grands noms incriminés. Voilà pourquoi il se presse avec tant de bonne volonté sur le parvis de l’hôtel particulier Almaviva, là où, il en est sûr, il trouvera son bonheur –et pourquoi pas une nouvelle piste pour ses recherches-. Arrêter le coupable le plus vite possible, il n’a pas d’autre mission.
L’odeur de l’eau de la lagune devient pestilentielle dans les lieux les plus exigües, mais…quelle importance pour un habitant de Venise ? Cette odeur fait partie du quotidien. Lui pourtant, ne s’y fait pas. Quinze longues années de service, et toujours cette gêne, à l’égard de cette eau corrompue comme à l’égard de ce type d’affaire fumeuse. Il ne fait ni une ni deux, et avec la vélocité qui est la sienne se glisse dans un de ces petits bateaux-taxi qui font le bonheur des touristes. Ici il n’est pas chez lui. Ici, il est lui aussi un touriste.
Il pose un pied, puis l'autre, et poursuit cette rengaine jusqu'à ce que le fameux parvis soit en vue. L'hôtel particulier à beau être prestigieux, il n'est pas situé dans l'un des lieux les plus fréquentés.
" On pourrait sans mal déposer une lettre sans se faire prendre " songe-t-il amèrement. Il voit, enfin, il voit.
[...]
Là, seule devant la magnifique et grande porte d'ébène à heurtoir de laiton, une jeune fille -il est en sûr- semble lire (ou accrocher ?) un fin morceau de papier blanc qui ne peut s'apparenter à rien d'autre qu'à une lettre. Ladite jeune fille à une longue tignasse d'ébène, et ne semble pas très grande. Une enfant ? Il est temps de passer à l'action, il esquisse un pas silencieux dans sa direction.